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Hier un internaute est arrivé sur ce blog avec comme thème de recherche : « Raison de lire un livre » !

Je ne souviens pas de m’être jamais posé ce genre de question. Et le mot raison étant au singulier : peut-il n’y en avoir qu’une seule ?

Je tenterai de répondre à cette intéressante question plus tard, car je viens de retrouver un petit texte, datant de quelques années, qui a un léger rapport avec le sujet : la lecture. Mais pas que… Il s’agit de souvenirs ou de tout « Ce qu’il ne fallait pas dire ». C’était d’ailleurs le titre que j’avais donné à cette série d’articles. Mais le pire dans les souvenirs c’est qu’il y a aussi « Ce qu’il ne faut pas écrire ! ».   

 

L’année suivante, je sautais le mur de séparation pour aller faire mon CP dans la cour des garçons, dans laquelle il y en avait beaucoup. J’en profitais pour tomber amoureux d’un autre, qui cette fois était dans ma classe. C’était plus facile et inévitable selon Alexandre, puisque je le voyais tous les jours. Je pouvais, tout à mon aise, l’admirer pendant des heures et lui parler, même si je n’étais pas son meilleur ami.

Cette nouvelle année, j’allais apprendre plein de choses. D’abord à lire et à écrire mais aussi des tas d’autres choses, aussi inutiles et navrantes les unes que les autres, comme le découpage avec un poinçon. Il s’agissait de faire des petits trous contigus dans une feuille de papier en suivant le contour d’un dessin, puis de découper suivant ces trous. Fascinant ! Je n’en ai toujours pas saisi toute l’utilité, mais je sais le faire !

Nous étions dans une vielle école, chaque classe me paraissait immense, tout était grand : le tableau, les plafonds et les placards dans le fond de chaque salle, placards fermés par de grandes portes, qui servaient parfois de prison pour les élèves les plus turbulents. Je ne devais pas en être, car je n’y eus jamais droit. Le placard, ce serait pour plus tard !

J’avais une institutrice, une fille de la ville sûrement, qui ne comprenait jamais rien. Un jour, croyant lui faire plaisir, je lui ramenais un superbe papillon, fraîchement capturé, que j’avais épinglé sur un bouchon de liège. Elle en parut terrifiée et me demanda si j’aurais apprécié qu’on me plante un pieu dans le ventre pour me clouer sur un bouchon ! Quel rapport ! J’étais consterné. D’abord il n’avait pas souffert, puisque je l’avais endormi à l’éther avant de lui perforer l’abdomen. Certes, ce n’était pas par soucis de lui éviter de souffrir mais pour qu’il arrête de bouger. Elle était scandalisée devant ce papillon qui de toute façon, avec ou sans pieux dans le ventre était condamné. Je le savais, mon frère me l’avait dit. Ces superbes bestioles n’avaient pas de santé, une journée chez-elles représentait cent ans chez-nous. Je lui avais en fait rendu service en lui évitant une lente agonie avant de mourir. Ma maîtresse était horrifiée devant tant de barbarie de ma part, si elle avait vu ma grand-mère tuer un lapin ou mon oncle un cochon elle aurait fait une syncope. Car l’éther ne suffisait pas. Pour les anesthésier ceux-là, il fallait manier la masse et le bâton. Un papillon à côté d’un cochon, ça ne criait pas, ça ne saignait pas, ça ne pouvait pas souffrir. Je renonçais à lui expliquer, je savais d’avance qu’elle ne comprendrait rien, d’abord parce que c’était une fille et en plus une grande personne. Elle avait tout contre elle la pauvre. Voilà à quoi je pensais en la regardant d’un sale œil. Elle savait peut-être lire et écrire, mais elle ne connaissait rien de la vie cette pauvre fille ! Alexandre était de mon avis, il l’était toujours. J’étais peut-être cruel, mais moi, je n’avais jamais mis personne en prison dans un placard ! Ça non plus, ce n’était pas la peine de lui dire. Je rentrais chez-moi avec mon papillon, dégoûté : c’était la première fois qu’on me refusait un cadeau.

 

Toutefois, je mesure aujourd’hui toute la reconnaissance que j’ai envers cette tendre et trop sensible institutrice, qui finalement m’a appris les deux choses que j’aime le plus dans la vie mais que j’ai mis longtemps avant d’apprécier : lire et écrire. 

 

J’appris aussi, mais là l’institutrice n’y était pour rien, qu’aimer c’était mon truc. Que c’était très agréable et que j’adorais ça, même s’il ne fallait pas le dire. Car je me doutais déjà que mes amours étaient sans doute mal orientés. Plusieurs choses me rassuraient : d’abord je n’y étais pour rien, ensuite à part Alexandre et moi personne ne le savait et puisque c’était si agréable, à quoi bon se prendre la tête ?

Ce que je me demande aujourd’hui, c’est comment pouvais-je avoir de telles certitudes ? Mais je les avais.

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