Livre - bis
Cet autre qui grandissait en moi  

J'aurais voulu t'aimer raisonnablement. - Si tu avais été...

 

 Chapitre 3 – (3)

 

 

En attendant, c’était un plaisir d’aller au lycée où je savais le retrouver chaque matin. Mais les jours de repos devenaient interminables. Plus les semaines passaient et plus je déprimais. Un jour convaincu de l’aimer, le lendemain persuadé du contraire. Un garçon qui aime un garçon, ce n’est jamais simple.

Je sentais la situation m’échapper. J’étais partagé entre l’envie de vivre à fond cette aventure et celle d’écouter cette petite voix intérieure qui ne cessait de me répéter : « C’est mal ! » Était-ce répugnant ou normal ? Je n’en savais rien, je n’avais reçu aucune éducation là-dessus. Si ce n’est les réflexions entendues ici et là qui tendent toujours à nous faire croire que les homos, ce sont les autres !

Alors que faire ? Attendre la prochaine fille qui me ferait perdre la tête et tout rentrerait dans l’ordre ? Mais celle-ci tardait à venir et le garçon au teint clair devenait de plus en plus séduisant, de plus en plus envahissant.

Fallait-il se mettre en quête d’une nouvelle petite amie ? Je n’en avais pas très envie mais c’était une urgence pour me recentrer, me rassurer. Il faudrait être très prudent dans mon choix. En trouver une un peu réservée, qui ne s’accrocherait pas indéfiniment quand je la laisserais tomber et qui ne me proposerait pas non plus de coucher tout de suite.

 

J’aurais voulu t’aimer raisonnablement. Deux opposés car l’amour est tout sauf raisonnable. Il est incendiaire. Il nous pousse à faire toutes les bêtises que nous ne ferions pas en temps normal. Il étouffe notre conscience, nous consume et nous transporte.

 

En attendant, je décidais d’enfouir mes sentiments et mes attirances. Je voulais les refouler au plus profond de mon âme, au plus profond de mon cœur, afin de m’en libérer et qu’ils y restent pour toujours. Mais peut-on ainsi s’en défaire ? Pourquoi n’y sont-ils pas restés ? Pourquoi ont-ils rompu leurs liens ? Pourquoi cette mutinerie ?

J’aimais ce garçon. Pourtant combien de fois ai-je tenté de me persuader du contraire, qu’il était tout à fait ordinaire, sans rien de plus que les autres, même pas beau ? Il ne fallait plus y prêter attention, ne plus m’en occuper et tout allait rentrer dans l’ordre. Premières choses à faire : ne plus le chercher, ne plus le regarder, cesser de penser à lui et de me répéter que je l’aime, comme si c’était de l’auto-conditionnement. Résolution absurde puisque je n’y arriverai jamais ! Chaque matin, je faisais tout le contraire. Au réveil, mes premières pensées étaient pour lui. Ensuite, à peine arrivé au lycée, j’avais besoin de le voir, de savoir qu’il était là. Ça me rassurait. Le pire c’est que j’avais l’impression qu’il faisait la même chose.

C’était toujours au moment où j’étais persuadé d’en être guéri, où je me croyais le plus fort, que j’étais soudain dévoré par l’envie de le revoir et, à la rencontre suivante, je sombrais de plus belle. Alors, en un instant, toutes mes certitudes s’envolaient. Je laissais mon cœur s’emballer et m’expliquer pourquoi il était si extraordinaire, si beau et séduisant. Pourquoi je l’aimais et que je l’aimerais toujours. Jusqu’au bout de ma vie, jusqu’au bout du plus lointain des voyages. Je ne savais plus quoi faire. Je n’arrêtais pas de me dire que je n’étais pas normal tout en espérant qu’il ne l’était pas non plus. Je ne cessais de me répéter que c’était mal mais je faisais tout pour le séduire. Jusque-là, peu soucieux de mon apparence, je décidais soudain de changer de look et de vêtements. Je me sentais minable à côté de lui. Il était toujours beau, nickel et irréprochable. Ma mère fut surprise par ce nouvel intérêt pour ma personne et mon image. Elle m’avait vu « rigolard et indifférent » pendant son divorce, « envie de rien » l’année suivante. Soudain, ce regain d’attention ne passa pas inaperçu. Un jour que j’essayais un nouveau pantalon :

-     Lætitia n’est plus là, à qui veux-tu plaire ? me demanda-t-elle.

-     Avec Lætitia je n’avais pas d’efforts à faire pour plaire.

-     Qui est-ce ?

-     Ce n’est personne, j’ai juste envie de changer.

Elle n’en crut pas un mot mais cessa de me poser des questions. Je m’en posais bien assez tout seul. Fallait-il vraiment lutter ou se laisser aller et prendre la vie comme elle venait ? C’était facile à dire, pas facile à vivre. Je culpabilisais de plus en plus. J’avais parfois l’impression que toute résistance était inutile, que je luttais pour rien. Comme dans ces jeux vidéo, où lorsqu’on coupe un ennemi en deux, chaque moitié redevient un nouvel ennemi potentiel. La meilleure défense étant de ne plus lutter mais d’admettre la réalité et de laisser venir.

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